Daniel Gabarre, faiseur de boîtes

Dans les recoins des vieilles boîtes se cachent toutes sortes de trésors : des souvenirs fanés, des babioles, des mots oubliés mais aussi des photos, tapissées de gens qui n'existent plus et de vies éteintes. D. Gabarre redonne vie à ce bric-à-brac miniature et souffle sur les braises du feu perdu. Naïves, drôles, grotesques ou inquiétantes, ses créations distillent une étrange nostalgie et de subtiles odeurs de poussière. Poussez la porte, passez la tête, c'est tout un monde qui attend les curieux et les amateurs d'étrangetés ...

Rencontre avec un faiseur de boîtes


A.L. Pour certains c'est la peinture, d'autres la sculpture et vous ce sont... les boîtes. Comment tout ça a démarré ?

D.G. J'ai fais mes premières boîtes en 2012. Mais bon, ça ne m'a pas pris comme ça du jour au lendemain. Disons qu'il a fallu du temps pour que l'idée germe, tout était déjà présent quelque part dans un recoin de ma tête mais l'élément déclencheur s'est un peu fait attendre.

A.L. Vous avez reçu une boîte sur la tête, c'est ça ?

D.G. Non, pas vraiment... Il n'y a pas eu non plus d'étincelle ! C'est amusant parce qu'on pense souvent que la création a quelque chose de quasi magique, d'imprévisible et de spontané mais, dans mon cas, c'est tout le contraire. On pourrait suivre à la trace et démonter pièce par pièce l'espèce de mille-feuille émotionnel qui m'a conduit à fabriquer des boîtes. D'abord, très clairement, il y a le spectacle quand j'étais enfant des photos d'ancêtres qui trônaient chez mes grand-parents et, surtout, la présence assez pétrifiante d'une vierge enchâssée dans une petite vitrine rangée dans la chambre de mon grand-père. Cet objet de dévotion somptueux, sans doute ramené d'Espagne, m'a fasciné et hanté toute mon enfance.



A.L. Donc, des boîtes, de vieilles photos jaunies,...

D.G. Et c'était parti.

A.L. Spontanément, vos boîtes ont un petit air lugubre...

D.G. Je ne fais pas mystère de ma passion pour les univers fantastiques et les ambiances gothiques et surnaturelles. Il est d'ailleurs très intéressant de voir comment le cinéma fantastique utilise la photo ancienne ou les films super8. Des supports obsolètes, remisés, qui tout d'un coup crédibilisent, et révèlent l'impensable. Dans « Les autres », la scène où Nicole Kidman découvre les photos de ses domestiques morts est d'une puissance incroyable ! Quant au mot « lugubre », je ne le récuse pas : mes boîtes sont des autels où vivent des morts, on n'est pas très loin du cimetière, il faut bien le dire. Mais ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus...




A.L. C'est-à-dire ?

D.G. Le mystère ! Le grand mystère qu'il y a dans ces photos. Les mettre en boîte, c'est figer ce mystère, le contempler et, indéfiniment, tenter d'imaginer qui étaient ces gens, leur vie, leur mort. Chaque photo, chaque portrait renferme mille histoires et c'est quelque chose de très excitant d'un point de vue créatif.

A.L. Vos boîtes, c'est de l'art plastique, de la déco ? Ou autre chose ?

D.G. Je ne sais pas trop à quoi correspondent mes boîtes ni où les ranger, ce qui est un comble pour des boîtes ! D'instinct, je me sens proche de l'art populaire (notamment religieux) ou de l'art brut mais aussi des univers de la miniature ou du jouet, c'est très vaste, assez inconstant et perméable. La récupération et le détournement des objets m'intéressent aussi. Et le terme de décoration n'est pas péjoratif pour moi. En anglais, on parle de « mixed media », c'est assez juste. Au final, je me considère davantage comme un bricoleur agile que comme un artiste. Beaucoup de gens dans les pays anglo-saxons font un peu la même chose. En France, Paul Duchein fait parti des créateurs que j'admire énormément.

A.L. Comment travaillez-vous ?

D.G. Un peu n'importe comment. Je travaille sur une table perpétuellement encombrée de mille et uns objets où je pioche ce dont je vais avoir besoin. Mais le point de départ c'est la plupart du temps la boîte : sa forme, sa taille, sa matière vont conditionner le reste. Le choix de la photo vient généralement ensuite.



A.L. Avec toutes ces boîtes, vous n'avez pas l'impression d'être pris au piège du format ?

D.G. Non, pas vraiment, même si j'ai envie d'aller vers des compositions plus complexes, à l'image de Mer profonde, avec étages, niveaux, couloirs, greniers,...

A.L. Dans votre atelier, j'ai vu aussi des choses un peu différentes...


D.G. Oui, même si je ne sors jamais vraiment du format boîte ou cadre. J'ai détourné des vieux bouquins, fait des tableaux kitsch, des collages, ou des petits bonhommes avec des bouchons de champagne. Entre deux boîtes, ça permet une respiration dans le travail et puis je ne peux pas m'empêcher pas de toucher à tout.

A.L. Merci Daniel.

D.G. Merci à vous.


Interview réalisée en décembre 2012.

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